Amendement ConfoKea : petites magouilles entre amis

Un article de Thibault Mortier, publié sur Agoravox, faisant une synthèse sur l’amendement ConfoKea

Dans la nuit du 13 décembre 2007 était proposé au Sénat par la belle-soeur de Bernard Debré, un amendement visant à autoriser l’ouverture dominicale des établissements de commerce de détail d’ameublement.

Le Sénat a adopté cet amendement scandaleux. On reste sans voix devant cette soumission apparente des plus hautes instances de l’Etat à la puissance des lobbies marchands, transformant la démocratie en un théatre abject. Démonstration.


 

La guerre du dimanche : un point de situation

Il est nécessaire de revenir sur l’histoire récente pour comprendre l’arrivée inopinée de cet amendement au Sénat, en procédure d’urgence.

L’Etat, depuis de nombreuses années, s’était montré d’un laxisme complet relativement à l’ouverture dominicale de certains centres commerciaux : un centre commercial est d’abord un contribuable profitable, avant d’être un justiciable…

Début 2007, la situation s’inverse : certains syndicats, notamment la CFTC, FO et la CGT, engagent des actions contre les enseignes illégalement ouvertes, et les gagnent quasiment toutes. Dans le courant de l’été, les enseignes (Conforama, IKEA, Fly, Alinéa, Casa, Atlas, Crozatier, et autres Usine Center) sont généralement condamnées à verser des astreintes relativement importantes, calculées sur la base des chiffres d’affaires réalisés pendant les ouvertures illégales.

Les astreintes sont des sommes dissuasives qui n’ont pas vocation première à être payées : pour qu’elles soient versées, il faut une action judiciaire en liquidation d’astreintes, la liquidation n’étant généralement prononcée qu’en présence du refus manifeste du contrevenant sanctionné de se conformer à la loi.

Les enseignes ont réagi fortement : organisation de manifestations bidon à l’aide de salariés mercenaires (Conforama, septembre 2007), conférences de presses (Ikea, Confo, But et Alinéa, octobre 2007), rendez-vous avec Luc Chatel puis Christine Lagarde (Conforama, Ikea, septembre 2007), articles de presse, interviews, etc. Conforama a fait travailler pas moins de cinq cabinets différents d’avocats pour présenter une ligne de défense…

En position de force, les syndicats n’ont pas abusé de cette stratégie gagnante : ils ont proposé aux enseignes de ne pas demander la liquidation des astreintes, en échange d’un retour à une situation légale.

Pourtant, ils se sont heurtés à un refus hautain des enseignes, préférant persister à ouvrir illégalement le dimanche, en toute insouciance. Devant ce refus, FO a annoncé qu’il allait demander la liquidation des astreintes obtenues contre Ikea (communiqué de presse du 11 décembre), Casa et Alinéa.

L’amendement 66 rectifié Ter : une commande ConfoKea

Le 13 décembre, madame Debré déposait en urgence devant le Sénat un amendement qui pourrait permettre à ces enseignes, condamnées et superbement méprisantes, d’échapper au paiement des astreintes auquel leur seule attitude délictueuse les conduit.

Le code du Travail dispose que le repos hebdomadaire doit être donné le dimanche. Il prévoit à ce principe, fort heureusement, un certain nombre de dérogations basées sur la nécessité absolue (par exemple les hôpitaux), la nécessité relative (par exemple les activités à feux continus), ou l’utilité sociale (par exemple l’ouverture des commerces alimentaires de détail).

L’amendement ConfoKea prévoit d’ajouter au code du Travail une dérogation supplémentaire concernant les établissements de commerce de détail d’ameublement (alors même que le nombre de dérogations déjà existantes est un des arguments avancés par le lobby ConfoKea).

Plusieurs éléments laissent à penser que cet amendement (plaisamment surnommé « amendement ConfoKea »), qu’aucune nécessité apparente autre que le copinage de haute volée ne vient justifier, a été commandé au gouvernement par les lobbies marchands (qui peuvent d’ailleurs suivre l’état de leur commande grâce au site internet du Sénat, ô progrès !).

Tout d’abord, la concomitance des événements : annonce de FO le 11/12, dépôt de l’amendement le 13/12. Même si l’on croit au hasard, on ne peut s’empêcher de penser qu’il a des sollicitudes suspectes !…

Ensuite, l’incongruité de l’amendement. Il est en effet complètement incohérent avec le planning social, ce dossier devant être abordé lors de la conférence du 19 décembre prochain. Par ailleurs, il bouscule aussi le Conseil économique et social, qui doit publier un nouveau rapport sur ce sujet.

Enfin, le choix injustifié de la procédure d’urgence : aucune urgence n’existe sur ce dossier, hormis le problème posé aux enseignes par la liquidation des astreintes.

Cerise sur le gâteau, il est à noter que l’attitude hautaine des enseignes, refusant de se conformer à la loi malgré les condamnations à répétition qui leur avaient été signifiées, tend à démontrer que ces enseignes savaient par avance qu’elles obtiendraient de l’appareil législatif des dispositions qui leur seraient favorables.

L’analyse des débats au Sénat vient conforter cette opinion : c’est Luc Chatel, secrétaire d’Etat représentant du gouvernement, qui y dévoile crûment le motif gouvernemental : « Il faut une concertation des partenaires […], mais il est un secteur où il y a urgence, où les entreprises condamnées pour ouverture dominicale paient des astreintes alors qu’elles ouvraient auparavant 52 dimanches par an. Le gouvernement est donc favorable à cet amendement », intervention à laquelle le docile sénateur Cornu, rapporteur de la commission, répond : « La commission l’est aussi par conséquent » (ce qui n’était d’ailleurs pas parfaitement exact), illustrant la collusion apparente entre le Sénat et le gouvernement.

Malgré le rappel du sénateur Dussaut : « Le Parlement n’a pas pour rôle de valider des comportements illégaux, ni de prendre parti dans des affaires en cours devant la justice » , le Sénat, dominé par le groupe UMP, a adopté l’amendement ConfoKea.

Du cocufiage social considéré comme un des beaux-arts

Les syndicats se sont immédiatement insurgés contre ce vote, parlant d’ester en justice au motif de la non-conformité de l’amendement à la loi 2007-130 de modernisation du dialogue social (communiqué CFTC du 15/12).

Cette loi avait été votée en ce début d’année, le 31 janvier 2007. Elle se voulait un gage de bonne foi donné par le gouvernement, après la crise désastreuse du CPE : le gouvernement s’engageait à privilégier le dialogue social plutôt que les basses manœuvres dans la
manière de conduire les réformes en France, louable intention s’il en est.

Cette loi établit dans son article L 101-1 que « tout projet de réforme envisagé par le gouvernement […] fait l’objet d’une concertation préalable ». Toutefois, cette disposition n’est pas applicable en cas d’urgence, mais dans ce dernier cas, le gouvernement doit motiver l’urgence.

Il est évident que l’urgence est un critère qui ne pouvait pas être retenu par le gouvernement : la seule urgence visible étant d’obtenir la non-condamnation des enseignes ConfoKea, le gouvernement aurait sans doute été quelque peu gêné de présenter cet argument. Il n’a de toute façon pas satisfait à son obligation de motivation préalable à l’adoption de la procédure d’urgence.

L’astuce cocufiante porte en fait sur le premier point de la loi, qui précise qu’elle ne concerne que les réformes envisagées par le gouvernement. En l’occurrence, s’agissant – officiellement – de l’initiative d’une sénatrice (dont il faut reconnaître que la fibre sociale est moins visible que son appartenance à l’UMP et à la famille du président de l’Assemblée…), il ne s’agit plus – officiellement – d’une initiative gouvernementale, mais d’une initiative parlementaire, ce qui sort l’amendement ConfoKea du champ d’application de la loi 2007-130 ! Et hop, passez muscade, mais il fallait y penser.

On comprend aisément que les organisations syndicales puissent éprouver quelques démangeaisons à subir cet élégant cocufiage.

Dans un pays où d’éminents spécialistes expliquent doctement que le traité européen est trop compliqué pour qu’il soit soumis à l’intelligence défaillante du peuple, on comprend qu’il est parfaitement logique que de nouveaux grands électeurs, intelligents ceux-ci, et véritablement désintéressés, viennent se substituer aux capacités insuffisantes des petits.

Quelques références :

 

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