Usine Center : la position de la Cour de Cassation

De notre correspondant à la Cour.

La Cour de Cassation qui unifie l’interprétation des règles vient de donner raison aux défenseurs du repos dominical en rappelant une évidence simple : la violation du repos dominical constitue un trouble manifestement illicite.

L’un des arguments avancé par les enseignes, petites et grandes, pour tenter de justifier leur violation du repos dominical des salariés, c’est que le volontariat des salariés, l’existence de contreparties financières contrebalancent la violation de la règle légale et qu’il n’y a donc pas de trouble à l’ordre public.

Elles ont utilisé ce moyen dans l’affaire jugée par la Cour de Cassation également pour dire que la concurrence n’est pas nécessairement faussée entre les enseignes et que les syndicats patronaux qui n’apporteraient pas la preuve d’un préjudice n’auraient pas qualité pour demander l’interdiction sous astreinte.
 
Si la Cour de Cassation avait retenu leur interprétation et retenu l’absence de trouble manifestement illicite, l’utilisation des procédures de référé qui permettent d’interdire sous astreinte n’aurait plus été possible, ce qui aurait eu pour conséquence d’empêcher des procédures rapides d’aboutir et les enseignes de jouer la montre, ce qu’elles savent parfaitement faire, dans l’espoir d’une modification de la Loi qu’elles appellent de leurs voeux faisant le siège des députés pour qu’ils la votent avant que les astreintes ne puissent être liquidées.

Ce faux argument vient d’être littéralement balayé par la Cour de Cassation.

Il y a fort à penser que les pourvois en cassation contre les arrêts rendus par les Cours d’Appel seront, pour ce seul motif, rejetés dès le stade de l’instruction.

La Cour de cassation indique qu’il suffit à la Cour d’Appel de constater l’emploi de salariés le dimanche pour qu’il y ait un trouble à l’ordre public caractérisant l’illégalité manifeste.

Les Cours et tribunaux se voient faciliter la tâche et peuvent rendre une décision de quelques lignes sans répondre nécessairement à l’ensemble des moyens développés par les employeurs contrevenants qui ne sont pas dépourvus d’imagination…

La 14ème chambre sociale de la Cour d’Appel de Versailles dont l’arrêt était contesté va, début septembre, examiner les appels des sociétés CASA et ALINEA concernant leur établissement du Val d’Oise qui sont interdits d’ouverture sous astreinte mais qui continuent allègrement à ouvrir.

Forte de cet arrêt de la Cour de Cassation, il ne lui reste plus qu’à s’appuyer sur ce dernier, ce qu’elle avait déjà anticipé, pour confirmer la décision.

La portée de l’arrêt est plus importante encore car il faut aussi penser à la situation des petits commerçants du centre ville que les syndicats patronaux défendent.

La règle ainsi posée par la Cour de Cassation permet de renvoyer chaque commerçant à sa propre responsabilité.

Il dispose en effet de la possibilité d’agir en concurrence déloyale à l’encontre d’une autre enseigne qui ouvrirait le dimanche sur le même fondement que celui rappelé par la Cour de Cassation.

Il pourrait en outre obtenir une indemnisation de son dommage, la perte de son chiffre d’affaire depuis l’implantation d’un concurrent ouvert le dimanche, s’il arrive à justifier qu’il pourrait bénéficier d’un report de clientèle en semaine.

Cela permet encore de répondre aux enseignes qui crient « pourquoi moi alors que tous les autres le font » qu’elles peuvent les assigner à leur tour pour faire cesser leur commerce illicite le dimanche…

Les grandes enseignes en ont les moyens financiers mais ne le font pas car elles redoutent qu’en le faisant sur un département, elles se voient l’objet des mêmes procédures à d’autres endroits.

CONFORAMA en son temps avait utilisé cet argument et même fourni les éléments permettant aux syndicats d’assigner les enseignes concurrentes également dans l’illégalité.

Elle s’était bien gardée cependant de mettre en oeuvre elle-même de telles procédures à l’encontre de ces voisines.

Sur le lien « Lire la suite », le texte de l’arrêt.

 

Cour de Cassation 

Chambre sociale 

Audience publique du 13 juin 2007

Rejet

 

N° de pourvoi : 06-18336

 

Publié au bulletin 

 

Président : Mme COLLOMP

 

 

REPUBLIQUE FRANCAISE

 

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

 

 

 

 

 

 

 

 

Sur le moyen unique du pourvoi principal et le moyen unique du pourvoi incident, réunis :

 

 

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Versailles, 14 juin 2006), que la Fédération nationale des détaillants en chaussures de France, la Chambre syndicale des commerces de l’habillement, textiles, nouveautés et accessoires de Paris et Ile-de-France, la Fédération nationale de l’habillement, nouveautés et accessoires ainsi que le Syndicat des détaillants en chaussures de Paris Ile-de-France et centre ont assigné en référé diverses sociétés exploitant des magasins dans le centre “Usine center” situé à Vélizy-Villacoublay, en soutenant que celles-ci méconnaissaient les dispositions légales relatives au repos dominical ;

 

 

Attendu que les sociétés font grief à l’arrêt d’avoir jugé que le fait de faire travailler leurs salariés le dimanche dans le centre commercial Usine center en violation de l’article L. 221-5 du code du travail constituait un trouble manifestement illicite et de leur avoir en conséquence interdit toute opération commerciale réalisée en contravention des articles L. 221-4 et suivants du même code sous astreinte, alors, selon le moyen du pourvoi principal :

 

 

1 / que le fait pour certains commerçants de méconnaître les dispositions du code du travail relatives au repos dominical confère seulement qualité à agir devant le juge des référés à un syndicat d’employeurs représentant cette profession, en ce que cette pratique rompt l’égalité au préjudice de ceux qui exercent la même activité en respectant ces règles ; qu’il s’ensuit que si la violation des articles L. 221-5 et suivants du code du travail peut suffire à rendre recevable l’action en référé engagée par des organisations représentatives d’employeurs, elle ne la rend pas nécessairement bien fondée et ne dispense donc pas le juge de caractériser l’existence d’un trouble effectivement subi par des commerçants que ces organisations sont censées représenter ; qu’en se bornant à déduire l’existence d’un trouble manifestement illicite de la seule rupture théorique d’égalité au préjudice des commerçants exerçant la même activité et respectant la règle, sans caractériser, comme elle y avait été invitée, la moindre perturbation causée à des activités identiques situées dans le même secteur géographique, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision au regard de l’article 809 du nouveau code de procédure civile ;

 

 

 

2 / qu’il résulte tant des écritures des organisations professionnelles appelantes que de celles de la société City sport que l’ouverture dominicale avait été contractuellement imposée par le bailleur à tous les commerçants exploitant une surface de vente dans le centre commercial ; qu’en se bornant à considérer les commerçants comme les auteurs d’un trouble manifestement illicite, sans vérifier, comme elle y avait été invitée, si cette situation ne leur avait pas été imposée sans qu’ils puissent y déroger, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision au regard de l’article 809 du nouveau code de procédure civile ;

 

 

Et alors, selon le moyen du pourvoi incident :

 

 

1 / que la méconnaissance de la règle du repos dominical ne constitue un trouble manifestement illicite à l’égard des organisations syndicales d’employeurs que si elles rapportent la preuve que les commerçants qu’elles sont censées représenter, ont éprouvé un préjudice commercial du fait d’un détournement de clientèle ou d’une désorganisation du marché, sans qu’elles puissent se fonder sur la seule atteinte portée à l’égalité entre commerçants qui est seulement susceptible de leur donner qualité pour agir devant la juridiction des référés ; qu’en déduisant l’existence d’un trouble manifestement illicite de la seule rupture d’égalité entre commerçants, la cour d’appel, qui n’a pas recherché, ainsi qu’elle y était invitée, si les fédérations et syndicats professionnels ont subi un quelconque trouble commercial, en raison d’une telle situation qui se perpétue depuis plus de vingt ans, a privé sa décision de base légale au regard de l’article 809, alinéa 2, du nouveau code de procédure civile, ensemble l’article 1382 du code civil ;

 

 

2 / que la cessation d’un trouble manifestement illicite requiert du juge des référés qu’il en caractérise l’existence in concreto sans qu’il puisse se fonder sur la seule considération générale et abstraite d’une atteinte à l’égalité entre commerçants ; que les sociétés faisaient valoir que “ les syndicat
s et fédérations appelants ne rapportent pas la preuve d’un dommage qu’ils auraient personnellement subi ou que les membres de la profession qu’ils défendent auraient personnellement subi, et qu’ils n’offrent même pas de rapporter cette preuve en cherchant, une nouvelle fois, à s’abriter derrière la décision rendue en 1993 par l’assemblée plénière de la Cour de cassation qui, selon eux, autoriserait à présumer la réalité du trouble “ ; qu’en s’abstenant de s’expliquer sur ce moyen tiré de l’absence de preuve d’un trouble manifestement illicite, la cour d’appel n’a pas satisfait aux exigences de l’article 455 du nouveau code de procédure civile ;

 

 

 

3 / que le juge des référés doit assortir d’un terme certain le prononcé de toutes mesures destinées à faire cesser un trouble manifestement illicite ; qu’en interdisant sous astreinte aux sociétés d’avoir recours à des personnels salariés le dimanche, sans enfermer le prononcé d’une telle mesure dans un délai déterminé, la cour d’appel, qui a excédé ses pouvoirs, a violé l’article 809, alinéa 2, du nouveau code de procédure civile ;

 

 

Mais attendu, d’abord, que la violation de la règle du repos dominical est constitutive d’un trouble manifestement illicite ; que la cour d’appel, qui a constaté que les sociétés employaient irrégulièrement des salariés le dimanche, a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision ;

 

 

Et attendu, ensuite, que la cour d’appel n’a pas excédé ses pouvoirs en s’abstenant de préciser la date à laquelle prendrait fin l’interdiction ordonnée, cette date étant nécessairement celle de l’obtention d’une dérogation ;

 

 

D’où il suit que les moyens ne sont pas fondés ;

 

 

PAR CES MOTIFS :

 

 

REJETTE les pourvois principal et incident ;

 

 

Laisse à chaque partie la charge des dépens afférents à son pourvoi ;

 

 

Vu l’article 700 du nouveau code de procédure civile, rejette les demandes ;

 

 

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du treize juin deux mille sept.

 

 

 

 

Décision attaquée :cour d’appel de Versailles (14e chambre) 2006-06-14 

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