Le travail du dimanche, un pari incertain


La généralisation des ouvertures de magasins le dimanche risquerait de provoquer des ventes moindres les autres jours de la semaine, au détriment de certains petits commerces.

Un article de Nathalie Birchem paru dans la Croix du 13/12/06

C’est cette fois un hasard de calendrier qui a remis sous les feux de la rampe cette arlésienne du débat économique. Cette année, le 24 décembre, période cruciale pour les commerces, tombe un dimanche, jour de repos légal pour les salariés.

Bien sûr, le code du travail prévoit de nombreuses dérogations. En particulier, le maire peut autoriser jusqu’à cinq ouvertures dominicales par an. Et la plupart des commerces, du moins ceux qui n’ont pas déjà épuisé leur quota, s’empressent de demander deux à trois dimanches pendant la période d’achats des cadeaux de Noël, et le reste le plus souvent pendant les soldes.

Mais, et c’est ce qui crée la polémique, deux villes, Nantes et Angers, ont décidé de ne pas accorder de dérogation le 24.

Nouvelles déclarations en vue d’assouplir la législation

La controverse n’a pas manqué de provoquer, quelques mois à peine après la dernière proposition de loi sur le sujet, de nouvelles déclarations en vue d’assouplir la législation. Mardi 12 décembre, sur la chaîne parlementaire Public Sénat, le député UMP Hervé Novelli (Indre-et-Loire) proposait que, « sur la base du volontariat des salariés », les maires puissent accorder autant de dimanches qu’ils le souhaitent.

Et Pierre Lellouche, député UMP de Paris, et grand habitué des propositions de loi sur le sujet, prépare un amendement dans le cadre de la loi sur la consommation qui sera examinée en janvier. Quant à Dominique de Villepin, il a demandé un rapport au Conseil économique et social pour février.


Des enfants se pressent devant la vitrine d’un grand magasin, le 6 décembre, à Paris où la plupart des grands magasins ouvrent chaque dimanche de décembre pour être davantage à la disposition des consommateurs (Photo Gangne/AFP).

Au-delà de la polémique, un assouplissement du travail le dimanche, qui concerne déjà 25 % de la population active, serait-il une bonne chose pour l’économie ? Si aucune étude n’a réalisé un chiffrage global, une chose est sûre : pour les magasins qui la pratiquent, l’ouverture dominicale se révèle bonne pour le tiroir-caisse. Notamment en décembre.

À la Fnac, où 66 des 70 magasins seront ouverts le 24, « les trois dimanches avant les fêtes de Noël représentent entre 10 et 15 % de notre chiffre d’affaires du mois, qui lui pèse pour 20 % dans notre chiffre d’affaires annuel », explique François Gazuit, directeur d’exploitation. Chez Usines Center Paris-Nord (Val-d’Oise), dont les 180 boutiques ouvrent, depuis dix ans sept jours sur sept tout au long de l’année, et sans autorisation, « le chiffre d’affaires du dimanche peut représenter 50 % du chiffre de la semaine », précise un responsable d’un magasin d’horlogerie.

Surcoût salariaux très variables

Toutefois, le pari ne s’avère pas gagnant pour tous les types de magasins. Car si les ventes ne sont pas au rendez-vous, les surcoûts salariaux, eux, le sont à coup sûr, même s’ils sont très variables. Dans la plupart des grandes surfaces, « il est prévu une augmentation de rémunération de l’ordre de 20 à 25 % ou un repos compensateur », précise Jérôme Bédier, président de la Fédération du commerce et de la distribution.

Dans les grands magasins, affirme Jacques Périlliat, de l’Union du grand commerce de centre-ville (UCV), le dimanche est payé double et donne droit à un repos compensateur. Chez OC & C Strategy Consultants, un cabinet spécialisé dans la grande consommation, Philippe Kaas a calculé que le dimanche peut « occasionner entre 2 et 3 % de chiffre d’affaires en plus et jusqu’à 20 % pour certains magasins.

Pour un magasin moyen, où le dimanche occasionnerait 25 % de masse salariale en plus, l’opération serait rentable dès lors qu’on dépasse 4,5 % de chiffre d’affaires supplémentaire. C’est très facile à réaliser dans les zones commerciales, où une ouverture massive peut permettre d’attirer une foule de clients. Pour les petits commerces indépendants, c’est plus dur. »

« Préserver les marchés de Noël »

Charles Melcer, qui représente les 55 000 petits commerces de vêtement de la Fédération nationale de l’habillement, est, lui, farouchement opposé à la généralisation de l’ouverture dominicale. « Pour la plupart de nos adhérents, qui ont entre un et trois salariés, ce n’est pas rentable. Or, ce sont eux qui font le commerce de proximité et, rien que dans l’habillement, cela représente 130 000 emplois. »

« Pour nous, refuser l’ouverture dominicale est une façon de préserver les petits commerces de détail et les marchés de Noël, qui, eux, ont le droit d’ouvrir jusqu’à midi », renchérit Nathalie Parent, adjointe au commerce à Angers.

De plus, macroéconomiquement, l’opération s’avère incertaine. « À pouvoir d’achat constant, estime Mathieu Plane, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), les ménages qui consommeront le dimanche le feront moins les autres jours de la semaine ou moins dans des magasins qui n’ouvrent pas le dimanche. »

Un constat que Jacques Périlliat (UCV) ne partage pas : « C’est une vision malthusienne de l’économie. Mis à part les exclus, qui ne peuvent consommer plus, la plupart des Français épargnent beaucoup plus que leurs voisins européens, il y a donc un réservoir de consommation. »

« Il est vrai que, pour certains achats, comme les produits techniques, où la vente a besoin d’être assistée, un trop grand encombrement des magasins le samedi crée sans doute une déperdition de vente, nuance Gilles Goldenberg, consultant au cabinet spécialisé Deloitte. Pour ce type de produits, comme pour les objets de bricolage ou de décoration, qu’on aime acheter sans se presser, l’ouverture du dimanche pourrait créer de la consommation. »

Nathalie BIRCHEM

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